Laura Létourneau, Déléguée ministérielle

Ancrée dans la logique de l’Etat plateforme, l’ambitieuse feuille de route « Accélérer le virage numérique en santé » portée dans le cadre de la stratégie Ma Santé 2022 révèle un engagement collectif porteur de belles promesses de déploiement. Perspectives concrètes et conséquences de la crise sanitaire avec Laura Létourneau, Déléguée ministérielle au numérique en santé.

Si en fin de cursus d’ingénieur généraliste, Laura Létourneau choisit de passer le concours du Corps des Mines, c’est par envie de s’investir sur des sujets d’intérêt général. « Mon premier poste dans une administration publique, à l’ARCEP, m’a permis de mettre en pratique les recommandations élaborées avec un camarade de promotion, Clément Berthelet et publiées en 2016 sous le titre Ubérisons l’Etat ! Avant que d’autres ne s’en chargent. Cet ouvrage partait du constat que c’était au tour de l’Etat et de ses services publics de se faire « ubériser » par les GAFA dans des secteurs aussi variés que l’éducation, les transports collectifs, la santé et ceux très régaliens de la sécurité et l’identité. Cette menace et ses aspects alarmants pouvant nous servir d’électrochoc et être vecteur de changement, nous avons théorisé un modèle d’Etat méta-plateforme alliant modernisation et souveraineté, au service de l’efficacité. Autrement dit, comment soigner mieux, éduquer mieux et protéger mieux, dans une direction acceptable par la société et un cadre éthique à la française, voir idéalement à l’européenne. »

L’intelligence collective en action

Après un passage chez Unicancer, elle rejoint le ministère des Solidarités et de la Santé en janvier 2019, nommée par Agnès Buzin « déléguée opérationnelle d’une task force dédiée  au numérique en santé», selon le communiqué officiel, « chargée  de définir une gouvernance pérenne et de mettre en œuvre la transformation numérique dans le cadre de Ma Santé 2022 ». Elle travaille aux côtés de Dominique Pon, ingénieur informatique de formation et directeur de la clinique Pasteur à Toulouse avec qui elle partage une vision et des valeurs communes. « Nous sommes partis d’un état des lieux, dressé avec Annelore Coury, pointant un secteur difficile à faire évoluer alors qu’un déploiement massif, cohérent, éthique et sécurisé du numérique est indispensable pour parvenir à transformer notre système de santé. Quand on remonte aux causes de ce diagnostic, il apparait que chacun a une part de responsabilité y compris les pouvoirs publics qui n’ont pas expliqué de manière suffisamment claire que le numérique était un outil indispensable à la transformation et non une fin en soi. Nous oscillons toujours entre le fantasme de tout ce que la e-santé pourrait apporter comme bienfaits en termes de qualité de soins et la frustration du terrain. Celle de professionnels de santé perdant du temps faute d’interopérabilité ou d’ergonomie et celle de citoyens souhaitant être acteurs de leur santé sans disposer de données sécurisée faciles à partager. »

Une prise de conscience généralisée

Aujourd’hui déléguée ministérielle au numérique en santé, Laura Létourneau sait combien il est primordial de fixer un cap et des actions précises, à court et moyen termes. Dans le cadre de l’engagement collectif Ma Santé 2022, la feuille de route « Accélérer le virage numérique en santé » les recense et définit une méthodologie visant à favoriser une meilleure coordination des pouvoirs publics et la concertation, sur des formats innovants, entre industriels, fédérations hospitalières, soignants et patients. « Depuis un an et demi, nous sommes dans une accélération à marche forcée de tous les sujets du numérique en santé, calibrée sur 2019-2022. Des délais extrêmement ambitieux ont été annoncés et tenus. La crise sanitaire est arrivée à mi chemin. Elle a donc généré quelques regrets, comme de ne pas disposer de l’Espace numérique de santé qui aurait permis d’informer chaque usager, de façon proactive, sur la conduite à tenir en temps réel, de répertorier toutes les applications utiles et fiables de téléconsultation, d’aide au diagnostic, d’aide à l’orientation, de stocker les résultats de test RT-PCR dans un dossier médical, etc… » Cette situation inédite a cependant confirmé la pertinence de la démarche étatique devenant même une source d’espoir et d’enthousiasme. « En interne, des projets portés et déployés à une vitesse inédite ont prouvé leur efficacité tandis qu’en matière d’acculturation et de méthodologie de travail nous avons gagné des années ! En externe la mobilisation des acteurs de l’écosystème a été colossale notamment pour mettre à disposition des soignants, souvent gratuitement, des outils et systèmes d’information d’aide à la gestion de crise. Il y a donc urgence à ne pas changer de cap et à accélérer encore d’avantage. Le Ségur1 de la Santé va y contribuer par la négociation d’investissements significatifs permettant de changer de rythme et d’échelle. Notre objectif est d’avancer de façon plus robuste et plus pérenne avec notamment le déploiement du cadre d’interopérabilité et de l’Identifiant National de Santé (INS) »

Activer les bons leviers

Exemple significatif, la plateforme nationale SI-DEP  (Système d’Informations de DEPistage) qui vise à collecter tous les résultats de positivité des tests RT-PCR d’environ 5000 laboratoires a été portée en un mois, résultat d’un partenariat gagnant entre le ministère des Solidarités et de la Santé, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, Santé publique France, les laboratoires de biologie médicale et leurs éditeurs. « Un crash test en vie réelle qui prouve qu’en matière d’interopérabilité il est nécessaire d’activer des leviers politique, législatif et financier pour que tous les acteurs soient alignés et respectent les mêmes communs numériques et des briques techniques, à la fois robustes, performantes et d’un niveau de qualité irréprochable. Dans ces conditions, il est alors possible de concrétiser un projet en quelques semaines ! Il ne faut donc pas attendre une prochaine crise pour activer ce type de leviers et faire que public et privé s’allient, dans une sorte d’union sacrée, autour d’un objectif commun. » On peut aussi citer l’outil de cartographie répertoriant tous les laboratoires d’analyses biologiques pratiquant des test RT-PCR qui reçoit plus de 100 000 visites par jour sur le site santé.fr ; ou bien encore le portail SI SAMU développé pour une meilleure coordination des transferts de patients. « Plus de 200 outils de téléconsultation ont été référencés par la puissance publique qui intervient pour réguler, apporter des garanties aux utilisateurs et imposer certains pré-requis aux concepteurs. » En un mot, être dans un rôle d’Etat plateforme…

 

[1] Dans le cadre du Ségur de la Santé, le gouvernement a attribué une enveloppe de deux milliards d'euros au numérique en santé pour le rattrapage du retard dans la modernisation, l’interopérabilité, la réversibilité, la convergence et la sécurité des systèmes d’information en santé, dont 600 millions d’euros dédiés au médico-social.

 

Bio express

Ingénieure généraliste de formation, l’expérience professionnelle de Laura Létourneau s’étoffe dans les domaines variés des énergies renouvelables, de la biotech, des télécom puis du numérique. Jeune et brillante haut fonctionnaire, elle publie en juin 2016, avec Clément Berthelet, Ubérisons l’Etat ! Avant que d’autres ne s’en chargent. Un an plus tard, elle passe de la théorie à la pratique en devenant t cheffe de l’unité « Internet ouvert » à l’Autorité de régulation des communications électroniques (ARCEP). En janvier 2019, elle rejoint le ministère des Solidarités et de la Santé comme Déléguée opérationnelle à la transformation numérique en santé pour préfigurer la gouvernance avant d’être nommée, en avril de la même année, Déléguée ministérielle du numérique en santé.

Repères

La feuille de route du numérique en santé

La feuille de route du numérique en santé La feuille de route « Accélérer le virage numérique en santé » comporte 5 grandes orientations :

  1. Renforcer la gouvernance du numérique en santé.
  2. Intensifier la sécurité et l’interopérabilité des systèmes d’information en santé.
  3. Accélérer le déploiement des services numériques socles.
  4. Déployer au niveau national des plateformes numériques de santé.
  5. Soutenir l’innovation et favoriser l’engagement des acteurs.

Regard Croisé de Didier AMBROISE, Associé Fondateur

Je l'indiquais déjà en juillet 2018 dans mon regard croisé sur "pas de e-Santé sans un langage commun", l'interopérabilité est une des clés de la réussite de la santé numérique en France.

La publication dans quelques semaines du décret rendant opposable le cadre d'interopérabilité en santé (CI-SIS) en France, sera une contrainte nouvelle, certes, mais indispensable pour favoriser le partage et l'échange des données de santé dans le cadre des parcours digitalisés des patients. Les volets des couches Service et Transport du CI-SIS sont d'ailleurs mis en concertation depuis le 29 juillet et jusqu'au 9 octobre 2020.

Nous avons imaginé récemment ce que pourrait être un parcours digitalisé de santé au travers de la vidéo racontant l'histoire de Némo et de son ange-gardien numérique "Raphaëlle" :

 

 

 

Bio express

Ingénieur en technologies de l’information pour la Santé, Didier Ambroise, associé fondateur du cabinet Doshas Consulting, intervient sur les projets digitaux et innovants pour les acteurs de la santé. Il est également secrétaire général du Think Tank « Le Cercle de la Donnée » et copilote le Groupe de Travail « filière d'excellence e-Santé » du Conseil du Numérique en Santé (CNS). Il est membre du Conseil de perfectionnement et du Conseil pédagogique de l’École Polytechnique de l’Université Grenoble Alpes, où il enseigne également.

Conception : Doshas Consulting
Responsable de la publication : Didier Ambroise
Rédaction : Cécile Jouanel
Création graphique et réalisation : Agence Biskot.Bergamote
Crédit : Shutterstock et Laura Létourneau

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