Interview

Brigitte Séroussi

responsable de la cellule Éthique du numérique en santé de la DNS

De la réflexion à la pratique, Brigitte Séroussi défend au sein de la cellule Éthique du numérique en santé de la DNS (Délégation au numérique en santé du ministère de la Santé et de l’Accès aux soins), un numérique en santé inclusif et écoresponsable. Tout en insistant sur l’importance de garder, vis-à-vis de l’IA, l’expertise clinique des professionnels de santé et une transparence vis-à-vis des patients.

Quelle est votre définition de l’éthique ?

« C’est se poser des questions sur la meilleure manière d’agir. Meilleure à la lumière des principes du serment d’Hippocrate, à savoir bienfaisante, non malfaisante, juste, équitable et prise en toute autonomie. »

Et celle de l’éthique du numérique en santé ?

« Elle consiste à croiser ces principes avec l’éthique d’un outil dont on attend qu’il soit à la disposition de son utilisateur, et non l’inverse, et utilisable par tout le monde. Nous défendons un numérique en santé inclusif et écoresponsable qui respecte la planète. »

Dans le cadre de l’élaboration de la première feuille de route du numérique en santé, sur quelles thématiques la cellule Éthique du numérique en santé de la DNS a-t-elle articulé ses différents groupes de travail ? 

« Partant d’une feuille blanche, nous avons construit nos thématiques de travail autour de trois grands volets.

  • L’élaboration de référentiels éthiques du numérique en santé s’appliquant à des outils et des pratiques.
  • La volonté d’aller au contact des utilisateurs pour discuter, renseigner et informer. Nous avons ainsi organisé de nombreuses journées régionales consacrées au sujet, en collaboration avec les Agences régionales de santé (ARS) et les Espaces régionaux de réflexion éthique (ERER). Nous avons également réalisé des films d’animation à destination du grand public.
  • La sensibilisation de l’ensemble de l’écosystème à la promotion d’un numérique en santé éco-responsable. Bien qu’immatériel, le numérique a en effet un impact sur l’environnement. Pour espérer le réduire, il faut pouvoir en mesurer les impacts. Nous avons donc conçu des éco scores, à disposition des éditeurs, pour les applis de santé et la téléconsultation ainsi qu’un calculateur d’impact environnemental pour les SI hospitaliers et des secteurs médico-social et social. D’autres outils sont également en cours de conception.

La France semble avoir joué un rôle important au niveau européen ?

« En amont de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous avions déjà élaboré au sein de la cellule éthique les prémices de la Charte de l’éthique du numérique en santé, proposée dès le 1er janvier 2022 au sein du réseau « eHealth Network », afin d’embarquer les états membres sur cette orientation. Nos propositions ont été très bien accueillies et, assez rapidement, s’est dégagée une convergence sur le contenu ayant abouti, dès le 2 février, à un vote à l’unanimité de ces principes éthiques européens qui se présentent sous la forme de quatre chapitres. Chaque chapitre est constitué de quatre critères : la transparence, l’accessibilité, l’écoresponsabilité et l’importance de l’empowerment des patients pour qu’ils soient acteurs de leur santé. Des études ont montré que lorsque les patients comprennent leur pathologie et participent au choix de leur traitement, ils sont beaucoup plus adhérents. »

Vous êtes également professeure d’informatique médicale à Sorbonne Université et praticien hospitalier à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP). En tant qu’hospitalo-universitaire, quel est votre point de vue sur la formation des professionnels de santé à l’éthique du numérique ?

 « Les choses avancent en termes de formation puisque l’arrêté du 10 novembre 2022 relatif à la formation socle au numérique en santé des étudiants en santé rend l’enseignement de la santé numérique obligatoire sur une majorité des filières santé. L’éthique y est représentée et également l’IA qui probablement prendra une place plus importante dans les futures versions. En tant que professeure à Sorbonne Université, je suis porteuse d’un projet lauréat de l’AMI CMA, lancé dans le cadre de France 2030, qui s’intitule SN@SU. Son objectif est d’intégrer la santé numérique au cœur de la formation, en associant de nombreux métiers : médecins, sage-femmes, infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, orthoptistes et psychomotriciens. J’organise la formation des étudiants des filières de santé avec les différentes écoles partenaires de notre projet, pilotant l’enseignement des 1ere et 2eme années de médecine, en lien avec le SCAI (Sorbonne Center for Artificial Intelligence). Nous avons aussi organisé avec le département de médecine générale de 3eme cycle, une journée « Docs ‘N Geeks @SU» avec des ateliers sur l’utilisation des logiciels métier de ville, des dispositifs médicaux connectés et également ChatGPT, pour comprendre les avantages, les inconvénients et les limites de l’IA générative. Au niveau des formations, nous analysons les méthodes, avec un focus important sur le fait qu’il faut garder son expertise clinique et ne pas hésiter à challenger ce que propose un système d’IA. »

 Quelle garantie de transparence tout professionnel de santé doit-il, selon vous, à ses patients vis-à-vis de l’IA ?

« Selon la loi de bioéthique, les professionnels de santé doivent une information aux patients sur le fait qu’une IA a été utilisée pour décider de leur prise en charge. Dans le référentiel sur l’éthique de l’IA, nous allons plus loin en précisant qu’ils doivent savoir aussi qu’aucune IA n’a été utilisée. La vraie transparence se résume à trois options :
1/ L’utilisation d’une IA dans la prise en charge et le suivi de ses propositions.
2/ L’utilisation d’une IA dans la prise en charge et le non suivi de ses propositions, en ayant les moyens d’en tracer la justification.
3/ La non utilisation d’une IA dans la prise en charge.
Cette transparence est due aux patients. Qu’ils manifestent le désir que la structure de soins ait recours à l’IA ou qu’ils rejettent cette idée, tous ont le droit de savoir. »

Bio express

Brigitte Séroussi a été contactée par la Délégation à la Stratégie des SI de Santé du Ministère de la santé, qu’elle rejoint en 2012, sur le projet de relance du DMP. Elle y reste jusqu’à ce que la DSSIS soit remplacée par la DNS au sein de laquelle elle s’engage sur le sujet de l’éthique du numérique en santé. En lien avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème, elle va proposer un cadre de l’éthique du numérique en santé afin d’installer un ensemble de valeurs propices à la confiance et à la promotion des usages.
Brigitte Séroussi est par ailleurs, professeure d’informatique médicale à Sorbonne Université, et praticien hospitalier à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (hôpital Tenon). Elle a une activité de recherche au LIMICS UMR_S 1142 sur le développement de systèmes d’aide à la décision en santé.

Conception : Doshas Consulting
Responsable de la publication : Didier Ambroise
Rédaction : Cécile Jouanel
Conception & réalisation graphique : Studio Bleu Canari

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