3 questions à

Jean-Louis Fraysse

co-fondateur de BOTdesign

Expert en santé numérique et co-fondateur de la start-up toulousaine BOTdesign, Jean-Louis Fraysse est convaincu des immenses perspectives offertes par les données artificielles dans la recherche clinique et l’entraînement des algorithmes d’IA, tant les avancées technologiques sont fulgurantes.
Cas d’usages concrets, preuves du concept, protection des données et considérations éthiques, alors que les patients artificiels sont (presque) ceux de la médecine de demain, la France a un rôle majeur à jouer au niveau mondial !

Dans quel contexte vous êtes-vous intéressé aux données artificielles en santé ?

« L’aventure est partie d’un constat et d’une rencontre.
Le constat, c’est que la mise sur le marché d’un nouveau médicament ou d’un dispositif médical nécessite des essais cliniques qui, notamment pour les phases 3 évaluant l’intérêt thérapeutique, obligent à recruter un nombre important de patients.

Cela représente, pour les industriels, beaucoup d’argent et beaucoup de temps. Il est en effet difficile de réunir des personnes qui sont très sollicitées, soit dans le cadre des maladies rares, soit pour leur fragilité comme les femmes enceintes, les enfants et les seniors. Sur les 18 mois que dure en moyenne une phase 3 d’étude clinique, 20 % des patients abandonnent en cours de route.

 

La rencontre, c’est celle, il y a quatre ans, avec Stéphanie Allassonnière au cours d’une table ronde.

Professeure de mathématiques à l’Université Paris Cité médecine, ses recherches portent sur la modélisation statistique et l’analyse des données médicales. Convaincue que l’IA générative est une chance pour la médecine du futur et un formidable outil d’aide à la décision, elle a publié une étude sur la maladie d’Alzheimer, montrant toute la pertinence de ses travaux.
Après avoir augmenté une base de 5 000 clichés de radiologie de cerveaux atteints par cette pathologie à 50 000 puis à 100 000 clichés, elle a comparé le résultat à une cohorte australienne qui a fait apparaitre l’impossibilité de distinguer les données provenant de ces jumeaux numériques de celles issues de patients réels. »

Comment les patients artificiels sont-ils créés et en quoi diffèrent-ils d’un jumeau numérique ?

« Notre start-up BOTdesign a d’abord développé MAX, plateforme de pré-diagnostic et de suivi clinique utilisant des données de santé primaires pour coordonner les soins des patients avant de lancer ORIGA, première plateforme web européenne d’augmentation des données cliniques grâce au deep learning.

Axée sur l’utilisation secondaire des données de santé, elle nous permet de créer des patients artificiels dans le but d’accélérer les études cliniques ou les délais d’entrainement des algorithmes d’IA de santé de l’industrie pharmaceutique ou du dispositif médical. Ces données, que nous augmentons pour obtenir une cohorte, sont issues de plateformes de coordination des soins et des SI d’hôpitaux pour des pathologies particulières.
Elles sont aussi mises à notre disposition par les industriels. Par exemple, pour tester un bras témoin sur 1 000 patients, ils vont en recruter 200 puis nous transmettre le « data set » clinique et biologique afin que nous puissions leur en fournir 800 supplémentaires. En faisant en sorte que tous les mois, nos patients artificiels évoluent de la même manière que les patients réels.

Assis sur les mêmes technologies, le jumeau numérique est principalement un double du foie, du cœur et du cerveau du patient, sorte d’avatar idéal, développé pour l’instant à partir de l’imagerie médicale et utilisé pour tester différents traitements. Nous, nous allons au-delà par le volume et l’enrichissement de la base de données pour qu’elle soit médicalement la plus représentative possible. »

Niveaux de preuve, garantie de protection, considérations éthiques, les données de santé artificielles soulèvent un certain nombre de questions et d’inquiétudes qui font l’objet d’un livre blanc que vous venez de coordonner avec Stéphanie Allassonnière. Quel en est l’enjeu ?

« Réfléchi et rédigé par un groupe de travail constitué d’universitaires pilotés par Stéphanie, de professeurs de médecine et de régulateurs (HAS, DGOS, AIS et la CNIL), son enjeu est double.

Il vise à acculturer l’écosystème sur le fonctionnement et l’utilité des patients numériques ainsi qu’à donner les preuves nécessaires d’acceptation de ces technologies pour qu’elles soient recevables par l’Agence européenne des médicaments (EMA), lors de la validation d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament ou d’un DM.
Elles passent par des publications scientifiques certifiant les résultats obtenus ou consistent à refaire des essais cliniques, aboutis ou abandonnés, pour démontrer que le niveau de fiabilité des données de santé artificielles est le même que celui d’anciens patients.


Pour répondre aux exigences de l’AI Act, la loi européenne sur l’intelligence artificielle, nous avons travaillé un troisième niveau de preuve avec deux étapes de garantie. La vérification de la représentativité et de la qualité du set de données à augmenter par des médecins spécialistes, puis une double validation, mathématique et médicale, de la base de données finale pour qu’à partir d’un échantillon significatif n’apparaisse aucune différence entre des patients artificiels et des patients réels.

Notre livre blanc laisse aussi la parole aux patients, très investis dans les discussions via France Assos Santé, notamment sur l’anonymisation des données.
Avec ORIGA, nous ambitionnons d’être le tiers de confiance entre les industriels et le régulateur. Dans le cadre de France 2030 et la mise en œuvre de l’Agence de l’innovation en santé, notre pays est très actif sur ce sujet. Au milieu du gué, il se doit de transformer l’essai avec l’espoir que les patients artificiels soient reconnus, d’ici 18 mois, dans la recherche clinique ! »

12 Rue Louis Courtois de Viçose, Bat.3 31100 Toulouse

https://botdesign.net/

Bio express

Docteur en pharmacie industrielle, Jean-Louis Fraysse est membre de la cellule éthique du Conseil du Numérique en Santé et expert en santé numérique. Après avoir consacré une partie de sa vie professionnelle à l’industrie pharmaceutique puis une autre à la prise en charge à domicile des patients atteints de maladies chroniques, il cofonde, en 2017, BOTdesign, leader français des chatbots de santé sécurisés.

Il a coordonné un livre blanc intitulé « Données de santé artificielles : analyse et pistes de réflexion » paru en avril 2024.

Conception : Doshas Consulting
Responsable de la publication : Didier Ambroise
Rédaction : Cécile Jouanel
Conception & réalisation graphique : Studio Bleu Canari

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