Antoine Bristielle

professeur agrégé de sciences sociales

Avec près d’une personne sur deux déclarant vouloir refuser de se faire vacciner contre le Covid 19, la France se distingue au niveau européen par sa défiance vis-à-vis des recommandations vaccinales et plus généralement celle des institutions politiques. Piqûre de rappel avec la récente étude d’Antoine Bristielle, expert à la Fondation Jean-Jaurès.

Votre étude fait ressortir la défiance d’une majorité de Français face à la vaccination contre le COVID. Cette défiance, qui apparait comme une spécificité française, touche-t-elle plus particulièrement les hommes, les femmes, certaines tranches d’âges et classes sociales ?

« Les femmes sont largement plus défiantes que les hommes puisqu’elles sont 50% à dire qu’elles refuseront de se faire vacciner contre 35% chez les hommes. La raison principale qui explique cette différence est la peur ressentie non seulement pour soi mais également pour les enfants, les mères ayant intégré l’idée qu’elles doivent les protéger des différents périls de leur existence.

En fonction de l’âge, ce sont plutôt les jeunes qui se montrent les plus réticents, peut être parce que l’assertion à la vaccination repose sur une sorte de calcul entre avantages et risques potentiels. Pour les convaincre, il me parait intéressant de miser sur leur altruisme et leur sens de la solidarité.

L’analyse des résultats par classes sociales ne révèle aucune différence dans le taux de consentement et de défiance, ce qui montre bien que le rejet de la vaccination contre le Covid-19 est extrêmement large et ne concerne pas qu’une faible proportion de Français. Cette particularité hexagonale a pour origine le fait que plus les personnes vont avoir confiance dans leurs institutions, en particulier les institutions politiques, plus elles vont avoir tendance à accepter les recommandations sanitaires préconisées.

Or, en France, on observe des niveaux de défiance institutionnelle extrêmement importants qui conduisent au refus des nouveaux vaccins annoncés. »

 

Pour rétablir la confiance, l’une des pistes ne serait-elle pas d’impliquer les médecins libéraux et professionnels de santé de proximité, tout en tirant les leçons de la campagne vaccinale H1N1 ?

 

« Différentes études longitudinales montrent effectivement qu’il ressort une vraie baisse du consentement en France depuis l’épisode de la grippe H1N1. Une baisse en partie due à la crainte que des enjeux financiers aient motivé la politique française d’achat massif de vaccins plutôt que des enjeux de santé publique. D’autant plus que la mise en évidence de certaines collusions avec le milieu des laboratoires pharmaceutiques a jeté le discrédit sur le gouvernement et que les conséquences de l’épidémie n’ont pas été aussi graves que celles redoutées.

Une étude récente menée en France, au Royaume Uni et en Espagne met en évidence que la thématique revenant fréquemment dans les discussions les plus partagées sur les réseaux sociaux à propos du vaccin est celle de la transparence financière.  Elle démontre la crainte de l’opinion publique que les intérêts économiques soient moteurs dans la gestion de la pandémie.

Au sondage réalisé la semaine dernière dans plusieurs pays européens qui posait la question : « A qui faites-vous confiance par rapport à la politique vaccinale concernant le Covid ? », les Allemands, les Italiens et les Britanniques ont majoritairement répondu les institutions médicales, le gouvernement et les scientifiques institutionnalisés, tandis que les Français ont déclaré massivement faire confiance à leur médecin traitant, exprimant de cette manière une exigence de proximité.

Associer ces professionnels de santé aux futures campagnes de vaccination est donc un des enjeux pour rétablir la confiance envers les institutions scientifiques jugées trop lointaines et quelques fois illégitimes. Au début de la pandémie, 90% de la population française accordait leur confiance aux institutions scientifiques contre 70 % aujourd’hui. »

 

 

Quels sont, selon vous, les conditions pour réussir la prochaine campagne vaccinale ?

« Quand on demande aux personnes d’expliquer les raisons de leur refus de se faire vacciner -et leur nombre est en constante augmentation depuis les dernières annonces sur l’avancée des tests - elles mettent en avant le manque de recul suffisant et la crainte des effets secondaires. D’où la nécessité, à mon avis, d’accompagner le grand public dans ses choix, en faisant preuve de pédagogie et de transparence sur l’état de la recherche, les mécanismes de contrôle et la sûreté des produits. La population a besoin d’être rassurée par des informations fiables, émanant d’institutions comme l’Institut Pasteur ou l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), dans un climat médiatique apaisé.

La mise en scène des différentes controverses scientifiques a été contre-productive en matière de prévention, créant une sorte de brouhaha qui altère les messages au profit du spectaculaire. Si la tendance est de pointer du doigt les réseaux sociaux, les média classiques ont eux aussi leur part de responsabilité. En particulier la télévision qui invite des médecins ou des spécialistes pour créer la polémique, faire du buzz, en dépit des effets délétères en termes de confiance dans la politique sanitaire.

Les Français ont besoin d’être préparés, comme c’est le cas en Allemagne où l’éventualité de disposer d’un vaccin est installée dans le débat public depuis déjà plusieurs mois. Le manque d’anticipation dans notre pays donne l’impression de se positionner plus dans la réaction que dans l’action et d’être toujours un peu pris de cours… Il ne faut pas oublier non plus l’importance des relations privilégiées avec les pédiatres ou les généralistes dans la décision finale et l’assentiment du plus grand nombre de nos concitoyens. Cette question de la proximité est vraiment primordiale pour activer les bons leviers.

Enfin une large proportion de personnes qui se déclarent contre les vaccins sont méfiantes de bonne foi et ne demandent qu’à voir. Néanmoins, les questions sanitaires sont un terreau extrêmement fertile pour les thèses complotistes, ce qui implique de rester vigilant !  »

Retrouvez l’étude en ligne : https://bit.ly/Etude_DefianceVaccination

 

Bio express

Professeur agrégé de sciences sociales, chercheur en science politique au laboratoire PACTE[1], de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble et expert à la Fondation Jean-Jaurès, Antoine Bristielle travaille sur l’influence d’Internet et des nouveaux moyens de communication, le rapport des citoyens à la politique ainsi que l’évolution de l’opinion publique française. Son étude sur la défiance des Français envers la vaccination est la suite logique de ses recherches sur les groupes Facebook pro-Raoult et le phénomène des anti-masques.

 

[1] Pacte est une unité mixte de recherche du CNRS, de Sciences Po Grenoble et de l’Université Grenoble Alpes. Pacte rassemble la majorité des géographes, politistes, sociologues et urbanistes du site grenoblois et accueille également des économistes et historiens.

Conception : Doshas Consulting
Responsable de la publication : Didier Ambroise
Rédaction : Cécile Jouanel
Création graphique et réalisation : Agence Biskot.Bergamote
Crédit : Shutterstock

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