Guillaume Marchand

Entretenant une vision très optimiste de l’open innovation et de la e-santé, Guillaume Marchand souligne néanmoins l’épineux sujet de l’interopérabilité et égratigne le manque de leadership organisationnel de la France. De la prise de rendez-vous en ligne à la télémédecine, une logique de parcours de santé se dessine, tendant à effacer aléas et redondances des pratiques professionnelles.

Quelles évolutions constatez-vous, ces dernières années, dans le monde des start up issues de la e-santé ?

‘‘ La première constatation est l’arrivée massive des professionnels de santé dans les équipes fondatrices de ces start-up. Elle reflète le désir d’un nombre croissant d’entre eux de s’approprier le e-futur de leur spécialité. Qu’ils soient chirurgien, diabétologue, nutritionniste ou bien encore psychiatre, ils amènent un savoir-faire métier et une identification des besoins particulièrement précieux pour l’évolution du secteur. Le deuxième point à prendre en compte est l’accroissement général des montants levés. Capital risque et investissements privés sont entrés massivement aujourd’hui dans la e-santé et permettent à certains acteurs d’avoir une puissance financière supérieure à celle de PME installées depuis longtemps sur le marché. À titre d’exemple, Doctolib a levé 85 millions d’euros depuis sa création. Enfin, troisième remarque qui me paraît intéressante à souligner, la logique parcours de santé et non plus métier qui anime ces start-up et qu’on ne retrouve pas encore dans l’industrie des éditeurs de logiciels ou des dispositifs médicaux. Cette logique vise à offrir à tous la même qualité de soins, en ayant une vision globale de la santé et de la vie du patient, et en ne résonnant plus par épisodes de soins. ’’

 

Si l’argent investi dans le secteur est en constante augmentation, reste à trouver un modèle économique compatible avec le système de santé français ?

‘‘ Le tempo de la e-santé n’est en effet pas celui du e-commerce, par exemple. Leur cycle de vie est de huit ans minimum et les partenaires financiers commencent à avoir intégré cette idée. Cependant, il est vrai qu’il existe un fossé gigantesque entre le temps d’action des créateurs d’entreprises innovantes en santé numérique, celui des pouvoirs publics, du milieu des investisseurs, de la réglementation et de l’industrie logicielle traditionnelle. De manière globale, le modèle économique à trouver consiste à financer, après avoir réussi à l’évaluer, le temps et l’argent que peuvent faire gagner ces objets et solutions numériques. En effet, quand on évite une redondance d’examens complémentaires ou de recueils de données du patient, c’est autant de temps humain dégagé dont il faut parvenir à définir le coût. D’autre part, les deux étapes permettant à un dispositif médical d’être pris en charge par l’assurance maladie, à savoir la durée des essais cliniques et les modalités de remboursement sont longues, très longues, en France ! Pour parer à cette complexité, certains entrepreneurs n’hésitent pas à choisir des ingénieurs français bénéficiant ainsi du crédit impôt recherche, puis à aller aux États-Unis acheter des data set (jeux de données) avant de revenir commercialiser leur produit en France ou, de manière plus rapide, en Allemagne. ’’

 

Il reste donc encore, selon vous, des réflexions et des actions à mener en France autour de la transformation digitale de la santé, notamment avec le monde assurantiel et mutualiste ?

‘‘ Ce qui caractérise une start-up, c’est de coller aux attentes du terrain et de les satisfaire étape par étape. Effectivement, la transformation digitale de la santé nécessite selon moi une accélération des réflexions avec les représentants du secteur assurantiel, mutualiste, du médicament et des dispositifs médicaux, tout en agissant au niveau de la synergie des bonnes pratiques. Un constat qui n’exclut pas de mener un véritable travail d’éducation et d’acculturation tant du côté des usagers que du corps médical, afin d’expliquer concrètement comment l’informatique permet de piloter la qualité et de faire tomber nombre de craintes et de déceptions. Depuis une dizaine d’années, des effets d’annonce en télémédecine ou des logiciels inadaptés ont déjà généré beaucoup de désillusion chez les professionnels de santé. Or, en amenant des arguments factuels et documentés, je pense qu’il sera plus facile de faire passer les bons messages et de peser dans le débat public. De même, rédiger des publications scientifiques plus pertinentes, donc plus prestigieuses, contribuera à faire rayonner la e-santé française autrement. ’’

 

Comment articuler respect de la réglementation et innovation ?

‘‘ La réglementation est nécessaire car au nom de l’innovation on ne peut pas tout faire. La vraie crainte c’est qu’elle soit gravée dans le marbre et qu’au cours de son élaboration, les solutions techniques ne cessent d’évoluer. Contrairement à l’Europe et au caractère finalement très latin du principe de précaution, les Américains ont compris qu’il fallait réguler le marché en même temps qu’il se construisait, sans mettre de ‘‘ barbelés ’’ autour de l’espace de développement. Nous pourrions peut-être nous en inspirer… Il en va de notre compétitivité ! ’’

 

Est-ce à dire que la France devrait s’ouvrir à d’autres modèles d’organisation, surtout avec l’arrivée des GAFA ?

‘‘ Aujourd’hui, en termes d’échelle, les GAFA n’ont pas vocation à être directement concurrents du e-health. En restant englués dans des débats un peu fantasmagoriques sur l’intérêt de la santé connectée tandis que des pays avancent beaucoup plus vite que le notre, nous devenons finalement nous-mêmes nos propres concurrents. J’ai l’impression qu’après chaque grand programme national, les résultats obtenus sont peu ou pas mesurés et que l’on se contente d’ajouter une couche de financement supplémentaire, sans réel pilotage qualitatif et participatif à l’échelle nationale. Aucune mesure n’incite au partage collectif des bonnes pratiques et aucune évaluation réelle n’est véritablement menée. Chaque acteur travaille dans son coin, ou presque. Il manque un leadership organisationnel au niveau des responsabilités, de la répartition budgétaire et bien entendu du sujet crucial de l’interopérabilité. ’’

 

Une interopérabilité qui est un des enjeux majeurs du e-health ?

‘‘ Quand vous achetez un aspirateur ou un mixeur, vous ne vous demandez pas s’il va rentrer dans vos prises. PC et Mac peuvent lire les mêmes sites web parce qu’un accord a été trouvé sur le format de la donnée. Où est le ‘‘ Bluethooth de la e-santé ? ’’ Cette langue commune qui va permettre à tous les acteurs de communiquer ? L’interopérabilité va devenir un enjeu de recrutement pour les territoires, via les maisons de santé et les cliniques, qui seront obligés d’avoir des outils avec une bonne expérience client. À un moment donné, les usagers, qu’ils soient professionnels de santé ou patients, vont faire pencher la balance et pousser le système pour avoir des soins plus rationnels, synonyme d’économie de temps et d’argent, ainsi que des conditions de travail et administratives améliorées. Les premiers qui s’y mettront prendront une longueur d’avance et tout le monde sera obligé de suivre. ’’

Bio express

Psychiatre et co-fondateur de dmd Santé, Guillaume Marchand préside France eHealthTech, qui fédère 140 start-up de la santé numérique en France et une trentaine de membres partenaires - grandes institutions de recherche, laboratoires, fabricants de dispositifs médicaux et assurances souhaitant tous accélérer le virage du numérique en santé en France.

Repères

FRANCE EHEALTHTECH

Association ayant pour vocation de promouvoir et de représenter les startups de la e-santé, France eHealthTech est un lieu d’échanges qui permet d’exprimer des positions communes et de structurer une filière du numérique en santé et bien-être.

Organisée en six commissions distinctes, elle poursuit quatre missions principales :

- Promouvoir les interactions avec les pouvoirs publics et les élus ;

- Représenter le secteur auprès de l’ensemble de l’éco-système ;

- Créer un réseau de partage d’expérience, de connaissances et de coopération entre ses membres et avec les acteurs économiques et académiques ;

- Assurer les relations avec les autres associations et institutions des secteurs du digital et de la santé, en France et à l’étranger.

Regard Croisé de Didier AMBROISE, Associé fondateur

Guillaume Marchand constate une tendance positive de l’implication de professionnels de santé dans les start-up (c’était d’ailleurs le constat que j’avais partagé dans le hors-série du mois de septembre 2017.

Cependant il faut que les professionnels de santé fassent confiance à l’ingénieur, dans la période actuelle où l’on vit une véritable révolution industrielle, pour inventer la ‘‘ médecine numérique ’’ comme une spécialité médicale à part entière.

Pour revenir sur l’interopérabilité, et être personnellement intervenu par le passé sur le projet européen epSOS, on peut signaler l’initiative IHE (Integrated Healthcare Entreprise), qui est une association internationale travaillant en co-construction des standards d’interopérabilité dans le domaine de la santé. Doshas Consulting avait également contribué avec l’ASIP Santé, au travers de l’expérimentation TSN, à l’élaboration du ‘‘ profil Vaccination ’’ (CVA).

On peut regretter que l’État n’impose pas encore l’interopérabilité à l’ensemble des acteurs du numérique de la santé, sur un modèle comparable à celui de l’ARCEP dans le secteur des TELECOM. L’ASIP Santé devrait voir ses missions s’élargir ses missions autour d’une forme de régulation du secteur, voire de gouvernance (c’est le pendant du rôle qu’a joué l’agence dans l’hébergement des données de santé).

 

Bio express

Ingénieur en technologies de l’information pour la Santé, Didier Ambroise, associé fondateur du cabinet Doshas Consulting, intervient depuis toujours de manière opérationnelle sur les projets d’innovations et de e-Santé. Il est membre du Conseil de perfectionnement et du Conseil pédagogique de l’École Polytechnique de l’Université Grenoble Alpes, où il enseigne également. Il intervient dans la formation ‘‘ e-santé ’’ à CentraleSupélec.

Conception : Doshas Consulting

Responsable de la publication : Didier Ambroise

Rédaction : Cécile Jouanel

Création graphique et réalisation : Studio Biskot & Bergamote

Crédit : iStock

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