Quels sont les facteurs pouvant expliquer qu’en France de nombreuses expérimentations innovantes, menées par différents acteurs de la santé, ne parviennent pas à passer à l’échelle ? Une réglementation trop frileuse ? Un manque de standardisation ? Un accès aux données limité ? Pour Pierre-Nicolas Patouillard, CEO de la filiale française de Creative Dock, le sujet est plutôt dans l’exécution des projets. « Pour que la France se positionne comme une start-up nation dans le domaine de la santé, elle a besoin d’une approche ancrée dans des besoins terrain et des business modèles qui ne soient pas uniquement « dopés » à la subvention publique. Par ailleurs, elle doit se doter de moteurs d’innovation qui aident les talents, nombreux en France dans le domaine de la santé, à concrétiser et monétiser leurs visions

C’est ce à quoi contribue Creative Dock, premier start-up studio diversifié européen, créé il y a neuf ans et ayant déjà lancé plus d’une soixantaine de ventures dans dix pays, dont huit dans le domaine de la santé et deux orchestrations de services. « Créateur d’entreprises, nous assurons une prise en charge totale du processus d’innovation. Le secteur de la santé est très dynamique en raison de la multiplication des initiatives en e-santé, de l’appropriation de nouvelles pratiques, de l’accélération du digital et de l’investissement d’infrastructures étatiques. Par ailleurs, nous croyons au développement de solutions internationales de santé favorisé par les travaux de convergences des réglementations. Autant d’indicateurs qui vont favoriser et faciliter le développement de plateformes intelligentes. »

Le patient au cœur des orchestrations de services

Depuis un an, de nouvelles applications digitales conçues en quelques semaines ont vu le jour, la population s’en appropriant largement les usages. « La crise sanitaire a eu pour conséquence positive de faire tomber les barrières de l’essai et de convaincre de plus en plus de professionnels de santé et de patients. Si l’on rajoute que le numérique va engendrer une réduction des coûts, on est obligé de constater que c’est le bon moment pour accélérer sa diffusion dans l’écosystème de la santé. » Dans ce contexte, les orchestrations de services ont une belle carte à jouer. « Elles s’imposent au profit de l’ensemble des acteurs, avec pour objectif, une meilleure prise en charge et à moindre frais du patient qui occupe une place centrale. » 

Pour qu’un maximum d’acteurs adhère à ces dispositifs, tenir compte de l’expérience des usagers et des praticiens est une évidence. Pierre-Nicolas Patouillard souligne donc l’importance de simplifier l’accès aux outils numériques pour éviter, par exemple, le recours à des modes de consultations dégradés. Il pointe également la nécessité d’une vision d’ensemble et l’idée d’une revalorisation financière et sociale de certains professionnels de santé. « Les médecins ont tendance à se focaliser sur ce qu’ils perdent et pas assez sur ce qu’ils gagnent parce que les avantages à mieux travailler ensemble n’ont pas été clairement posés sur la table. »

« Une expérience totale ! »

La tendance des dernières années est la multiplication des applications digitales intervenant sur la chaine de valeur médicale, à l’instar de la prise de rendez-vous, ou dédiées à un type de maladie spécifique. « Aujourd’hui, cette approche des besoins en silo semble un peu dépassée au profit d’une offre de services mieux intégrée aux parcours de soins. » Ce processus qui simplifie la vie des patients implique en revanche de mobiliser plus de compétences techniques et de design service pour le concevoir. « Orchestrer des solutions répondant à des besoins complexes sous-tend nécessairement des partenariats entre fournisseurs de solutions. L’intelligence des plateformes de services repose donc sur la compréhension globale des solutions, la fluidité du passage de l’une à l’autre et l’analyse des comportements et des usages. Les meilleurs candidats pour ce genre de plateformes sont souvent des compagnies d’assurance qui, à mon sens, y voient non seulement un intérêt économique immédiat avec la baisse importante des consultations, mais aussi une manière de proposer une offre différenciante plutôt que de promouvoir un simple produit banalisé de service santé. »

Un autre mouvement émerge, notamment en Allemagne pays réglementairement très en avance sur le sujet, celui de la prescription d’applications digitales de santé qui pourront être intégrées à des plateformes d’orchestration de services. « Ces applications enrichissent la relation patient-praticien. Les outils de diagnostic à distance en sont la preuve. Ils sont une source d’efficience, en opérant notamment un triage des cas graves ou non, et une réponse appropriée aux problématiques des territoires. » Ces avancée technologiques et sociétales intéressent également les établissements de santé dans une optique de qualité de prise en charge, d’optimisation de leur propre ressource et de développement de leurs activités’ « L’orchestration de services ne se résume pas à faire des économies, c’est une expérience totale ! Elle augmente la fréquence de points de contacts avec les patients et permet d’agrémenter les séjours hospitaliers par des offres diversifiées et personnalisées. Avec un intérêt stratégique pour les acteurs de la santé, préparer l’avenir que l’on ne connait pas encore… »

La nécessité de données irréprochables

Au niveau européen, face à des pays nordiques très numériques et des pays de l’Est matures en termes d’identité digitale, le marché français n’a pas à rougir de son positionnement. « Tout le monde s’accorde sur la digitalisation du travail de secrétariat médical. Le coup d’après va être celui de la pratique des métiers et de l’intégration de l’intelligence artificielle pour avoir une vision 360 du patient. » En Suisse où les soins coûtent chers, Creative Dock a mis au point une orchestration de services permettant de faire la totalité du cycle médical sans quitter son canapé (diagnostic, téléconsultation, e-prescription, livraison de tests et de médicaments). « Techniquement c’est possible. Les limites viennent de la réglementation et de la gestion du changement au sens large auprès des acteurs de l’écosystème. Pour qu’une orchestration de services soit acceptable il faut que les données soient irréprochables ! C’est une composante du cahier des charges de la solution. Il faut clairement annoncer ce qui va être restitué comme valeur aux patients et aux professionnels de santé et être transparent sur l’hébergement, la sécurisation et le traitement des informations. La France manque de pédagogie envers la population pour lever certains freins psychologiques. Il faut arriver à expliquer et rassurer sans pointer du doigt une profession médicale en particulier. »